Ce matin je suis parti comme j’en ai l’habitude durant les grandes marées, à la pêche à la crevette.
Une grande plage de sable fin qui n’en finit pas. La mer s’est retirée très loin en raison d’un fort coefficient. J’étais avec quelques-uns de mes petits enfants qui avaient hâte que je leur explique comment faire. Nous partions à la grise et non pas au bouquet. Il nous fallait donc atteindre les baïnes dans lesquelles se réfugiaient ces crustacés tant convoités.
Chacun portait son épuisette fièrement sur l’épaule avec la ferme volonté de remplir son panier pour épater les autres. La marche était longue, longue.
J’avais du mal à avancer sur ce sable mou dans lequel mes pieds avaient la fâcheuse envie de s’enfoncer mais il fallait tenir pour montrer l’exemple.
Arrivés au bord de l’eau et après une brève analyse de la situation nous décidons de nous diriger vers une de ces grandes mares, véritable vivier.
Je prends mon épuisette ou plutôt celle de l’un de mes petits enfants qui était de petite taille (l’épuisette) et m’enfonce dans la mare doucement tellement l’eau était froide et ce jusqu’à la taille.
Et là, pour les néophytes qui ne connaissent pas encore les joies de la pêche à pied, je pose mon épuisette au fond de l’eau devant moi pour bien racler le sable et avance péniblement en espérant que le filet se remplira de ces fameuses petites bêtes qui termineront en beurre à tartiner.
L’effort est important malgré que l’épuisette soit petite mais le pari est audacieux car plus l’épuisette est petite, moins de chance vous avez d’en attraper.
Je marche ainsi contre le léger courant car la baïne se vide lentement tant que les petits à son extrémité n’ont pas formé un barrage assez costaud pour retenir l’eau.
Cela dure quelques minutes puis arrivé à l’autre rive, je me décide à relever d’un effort surhumain le filet rempli d’algues, coquillages, petits crabes et crevettes grises.
La pêche n’est pas miraculeuse mais à la surprise générale, je découvre au fond de mon filet trois gros bouquets qui n‘auraient pas dû se trouver là. Ils étaient gros comme des gambas se prélassant sur votre paella.
C’était incroyable et je n’en revenais pas. J’appelle alors les petits qui jouaient dans l’eau pour leur montrer ces énormes crustacés.
Ils devaient être enfouis dans le sable, ce qui n‘est pas normal car en général le bouquet se cache dans les rochers ou les grosses algues et là où nous étions il n’y avait ni cailloux ni grosses algues, que des petites vertes.
Intrigué par cette découverte je me décide à poser mon filet et à gratter le sol avec les mains pour tenter de trouver d’autres bestioles.
Je gratte pendant des heures, des heures et j’en trouve mais malheureusement je n’ai pas de panier suffisamment grand pour les préserver.
A un moment je trouve sous le sable des objets bien rangés. Il y avait une grotte avec des vêtements, de la nourriture, des outils de pêche et autre matériel dont je ne comprenais pas l’utilité à cet endroit-là.
Marceau, un de mes petits fils, me demande ce que c’est. Je lui explique que c’est certainement la maison d’un pêcheur et qu’il ne faut pas y entrer. Je décide alors de remettre du sable par-dessus pour éviter qu’un intru y pénètre et continue péniblement ma pêche aux bouquets.
Mon panier ne peut en contenir que trois ce qui vous l’avouerez n’est pas beaucoup. Donc à chaque fois que j’en ramasse, je les pose près de moi mais Ils se remettent à s’enfoncer dans le sable.
Je suis épuisé et me dis qu’il faut que je trouve une solution.
En relevant la tête car quand vous pêchez, vous êtes courbé en deux ce qui n’est pas bon pour les cervicales, j’aperçois un bâtiment avec de nombreuses personnes autour.
Je décide de m’y rendre et remonte ainsi la plage avec mon panier et trois crevettes à la main.
En arrivant sur place quelle stupeur de tomber sur un groupe de CGP qui devaient être en congrès. Vous devez vous dire que je devais avoir l’air un peu ridicule en caleçon de bain au milieu de ces messieurs en costume mais en fait c’étaient eux qui étaient ridicules habillés comme des milords sur la plage.
En entrant dans la grande salle, j’en reconnais quelques-uns qui me saluent poliment et tombe nez à nez sur Claude un confrère de Nice qui se reconnaîtra. Il n’a pas l’air surpris de me voir à moitié à poil avec mon panier en bandoulière, mes crevettes à la main et mon épuisette sur le dos.
Il me tombe dessus en me disant dans de grandes explications qu’il n’arrivera pas à faire ses objectifs de l’année et me demande des tas de conseils. Je lui explique que je suis à la retraite depuis peu et que mon problème à l’instant est de trouver un récipient pour mettre mes crevettes et non pas d’élaborer des stratégies pour d’autres.
Visiblement déçu il me tourne les talons et à ce moment-là j’aperçois Denise, une ancienne cliente qui se reconnaîtra aussi, qui porte sur la tête un grand vase et me fait des grands signes de la main.
Je traverse donc la grande salle tant bien que mal pour la rejoindre. Certains se plaignent que je les mouille un peu mais quand même je me dis qu’il n’y a pas idée de venir à la plage en costume !!
J’arrive devant Denise qui me tend le vase et me précipite dans les toilettes pour le remplir d’eau. J’y mets mes bouquets ravis de retrouver leur milieu naturel.
Ce fut un soulagement pour moi aussi car j’avais sauvé ma pêche !
Il ne me restait plus qu’à rejoindre mes petit-enfants sur la plage mais au moment où je ressortais dehors quelque chose se passa qui me réveilla.
Patrick Levard